jeudi 11 mars 2021

ORIGINES

 


La lecture pénible et inachevée qu'il fit (Marc avait rapidement compris le pitch et le suspense n’était pas assez prenant pour qu’il continue au-delà de la page 166) des Disparus de Daniel Mendelsohn fut l’une des raisons pour lesquelles il faillit se convaincre qu’il lui était devenu difficile de ne pas se poser des questions sur ses origines. Mais la vraie raison : Marie-Laure.


Né sous X, adopté à trois ans par les Deschamps, des gens bien qui étaient devenus dès la première seconde ses parents à part entière, il ne s’était ensuite jamais posé aucune question sur sa filiation. 


Jusqu’à Marie-Laure. 


Il n‘a aucun souvenir de sa vie d’avant les Deschamps. Rien sur son passage intra utérin, rien sur l’accouchement, rien sur son abandon, rien sur son séjour dans un foyer orphelinat de Versailles, rien même sur le jour où il est arrivé pour la première fois dans la maison qui allait être son chez soi. Les souvenirs de sa toute petite enfance n’ont pas été effacés : ils n’ont jamais existé parce que personne n’a été là pour les lui raconter. Les gens qu’il a interrogés, les gens normaux, ceux qui ont eu de vrais parents, lui ont confirmé ses impressions : ils n’ont comme souvenirs de la période d’avant l’entrée en maternelle pour simplifier, que ce qu’ils ont appris de leurs parents et les seules images qui se sont imprimées dans leur cerveau sont celles des photographies contenues dans les albums mais aussi les films qu’ils ont pu se faire. Ainsi, des faits racontés et vus après coup, sont devenus les réalités de leur toute première enfance alors qu’ils ne les ont pas vécus. 


Les Deschamps sont, ont toujours été, des parents comme les autres, enfin, des parents qui n’ont pas pu avoir d’enfants naturellement et qui, donc, n’ont pas pu les abandonner. Drôle de définition pour qui sait que des parents adoptifs abandonnent des enfants adoptés sous prétexte que la marchandise est de mauvaise qualité.


Il résume ainsi l’affaire : « Je suis un enfant adopté heureux qui aurais préféré qu’on ne lui dise pas qu’il était un enfant adopté et je n’ai jamais pensé une seule seconde à l’existence de mes vraisparents car les Deschamps sont mes vrais parents. »


Il arriva pourtant un moment, sans qu’il puisse en déterminer avec certitude le moment exact, où, malgré tous les efforts qu’il avait faits (ou qu’il n’avait pas faits) pour ne pas entrer dans le moule de l’enfant adopté qui se pose des questions sur ses origines, la société le rattrapa. Il avait certes échappé aux insultes dans la cour de récréation, personne ne l’avait jamais traité de « bâtard » puisque personne ne connaissait son histoire, mais il ne put continuer longtemps d’ignorer tout ce que l’opinion publique disait sur l’adoption. Ce fut une épreuve douloureuse. Il tenta d’écouter de loin, de garder ses distances mais ce qu’il apprenait l’entraînait dans des domaines inconnus de lui qui non seulement ne l’intéressaient pas mais plus encore le perturbaient. Le grand mystère était celui-ci : pourquoi autant d’enfants dits naturels voulaient retrouver leurs origines ? Était-ce parce qu’ils étaient malheureux ? Tous les enfants ne sont-ils pas malheureux ? Quant à ce qu’il apprit sur ce qu’étaient les angoisses des parents adoptifs, cela le surprit et le terrorisa : il n’avait qu’une envie, rassurer ses parents. 


Les Deschamps l’avaient élevé et rendu heureux : que pouvait-il y avoir de plus important ? Au point qu’il adopta ce point de vue : c’est parce qu’il était un enfant adopté qu’il n’avait rien à reprocher aux Deschamps. Leur légitimité passait par leur désir d’être ses parents et d’avoir réussi. Il ne pouvait se demander qui étaient, ou étaient ses vrais parents, ceux qui portaient ses chromosomes, puisqu’il était l’enfant heureux de parents qui l’aimaient et qui l’avaient choisi. 


Le déclic malheureux vint de Marie-Laure dont les désirs d’enfant avec Marc étaient devenus pressants et qui ne comprenait pas que le futur père de son futur enfant ne s’interrogeât pas non seulement sur la vraie nature des spermatozoïdes et des ovules de ses géniteurs mais sur ce qu’ils avaient été et sur ce qu’ils étaient devenus.


Il semblait pour Marie-Laure que c’était primordial.


Elle lui conseilla donc de lire le livre de Mendelsohn pour comprendre combien connaître ses ancêtres était un sentiment partagé par de nombreuses personnes dans le monde. Cela l’ennuya. Après tout, que Marie-Laure eût des chromosomes bretons, qu’est-ce que cela pouvait bien faire ? Elle avait aussi parlé aux Deschamps en dehors de sa présence qui, bien qu’effrayés par de possibles conséquences d’une telle recherche sur leurs rapports avec Marc, ne pouvaient qu’être d’accord avec ce que les psychologues de l’adoption n’avaient cessé de leur seriner dès qu’ils avaient commencé de constituer leur dossier. « Les enfants ont le droit et le devoir de savoir »


Marc fit presque semblant de chercher et plus il faisait presque semblant de le faire et plus il trouvait cela vain et inutile. Voire sans fondements. Il n’en avait rien à faire de ses parents naturels, qu’ils continuent de vivre sans lui, en tous les cas, ils ne lui manquaient pas et ils ne pourraient que le décevoir.


Il avançait pourtant, se mettant dans la peau d’un détective de série, un enquêteur qui n’aurait pas été le sujet de ses recherches, il avançait en se fourvoyant sur ce qu’il recherchait, il ne désirait rien, et les difficultés, perdre un après-midi pour rencontrer une personne qui n’avait rien à lui dire, il avait quand même un travail prenant, au lieu de le décourager, l’entraînèrent à rechercher encore plus pour aller au bout de l’échec.


Marie-Laure l’interrogeait et le stimulait et plus elle le faisait et plus il se demandait ce qui la poussait. Cette insistance le troublait. Il avait commencé par penser qu’elle agissait par pure bienveillance mais il comprit ou plutôt se persuada que quelque chose l’inquiétait. Il ne pouvait lui en parler car cela aurait brisé le charme de leur relation. Elle était inquiète. Il tenta d’envisager toutes les hypothèses. Était-elle une chromosomiste qui mettait en avant l’ADN contre le milieu ou contre la société ? Avait-elle trop lu Zola et les tares familiales transmises dans les familles des Rougon-Macquard ? Avait-elle peur que son futur enfant, leur future enfant, ait des défauts cachés et qu’au lieu de ressembler aux gentils Deschamps… Cette recherche imposée par Marie-Laure, au lieu de le stimuler, au lieu de l’intéresser, au lieu de l’exciter, le dégoûta d’elle. C’était elle qui avait peur des origines de Marc et sa curiosité était une façon malsaine d’envisager l’avenir. Il rompit sans le lui expliquer, c’étaient après tout de mauvaises raisons, et ne rechercha jamais qui étaient ses vrais parents au bonheur de ses vrais parents.


(Versailles, le 9 mars 2021)

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