mardi 12 mai 2020

HOROSCOPE SURPRISE



Dans les dîners en ville, entre copains, entre collègues, entre amis, l’astrologie arrive parfois à s’immiscer. Si quelqu’un aborde le sujet, tout le monde ou presque dit y croire un peu mais sans y attacher d’importance, dit croire un peu à des caractères humains qui seraient influencés par la position des astres dans le ciel mais dit rejeter avec dédain les horoscopes quotidiens que l’on peut lire dans les journaux, il ne faut quand même pas exagérer. Il y a aussi des gens qui disent ne pas y croire du tout. Ceux-là sont minoritaires, enfin, c’est ce qu’a remarqué François Rubin. 

Ce soir-là, Prune, la copine d’un des amis de Rubin, affirme que non seulement elle y croit mais qu’elle fait des thèmes astraux et que ça marche. Rubin la regarde du coin de l’œil, la laisse parler puis, sans prévenir, lance un « Tout ça, c’est des conneries. » Cela ne se fait pas dans une soirée de donner son avis de façon aussi abrupte, cela met une mauvaise ambiance et la copine de Rubin lui fait les gros yeux. Pour la forme. Car elle ne croit pas beaucoup non plus à l’astrologie.

Prune a trouvé en Rubin un terrain d’exercice. « Je vous propose la chose suivante, vous me donnez votre date de naissance et je vous parle de vous alors même que je ne vous connais pas » Rubin la regarde en souriant. « Nous devrions faire l’inverse, vous m’observez pendant toute la soirée et vous me dites à la fin mon signe et mon ascendant. - Ce n’est pas le jeu. - Pourquoi ? - Parce que l’astrologie n’est pas une science exacte… - Je ne vous le fais pas dire. - … et qu’elle fonctionne dans l’autre sens. - Comment ? - Les signes astraux donnent des indications, non des certitudes, un cadre général dans lequel viennent s’inscrire d’autres facteurs qui participent à la détermination de la personnalité, la génétique, le milieu social, les études... » Comment Rubin pourrait-il dire le contraire ?

Prune, par provocation, finit par accepter.

L’amie de Rubin voit cela d’un très mauvais œil : c’est quand même une façon habile de séduire. Et Prune est une jolie jeune femme aux yeux de l’amie de Rubin. Elle y voit une rivale. La soirée se passe agréablement : Rubin fait l’intéressant en s’assurant qu’aucune de ses paroles, aucun de ses gestes, aucune de ses attitudes ne soient manqués par Prune dans un exercice tenant à la fois de la séduction et du mentir-vrai. Les autres ont oublié l’objet de la soirée, bien qu’ils se soient prêtés avec gourmandise aux commentaires astraux de la jolie blonde dont l’ami est de plus en plus amoureux. Le vin aidant, les discussions animées l’encourageant, se tutoient tous, les huit convives parlent de plus en plus fort dans cette vaste maison de banlieue où il est possible de parler haut sans gêner les voisins. Les invités passent d’une pièce à l’autre, circulent de l’intérieur vers le jardin ou vers la terrasse. Tout le monde semble bien s’amuser. 

Le moment est venu que Prune se livre et dévoile le signe et l’ascendant de Rubin. Comme dans ces présentations où les intervenants font durer le plaisir du dévoilement parce qu’ils ont peur des réflexions déçues dont ils seront l’objet ou du rejet qu’ils auront à affronter, Prune minaude, et ces minauderies, loin d’inquiéter son ami, la font l’admirer encore plus, alors qu’elles rendent folle l’amie de Rubin dont les yeux sont éclatants de colère.

« Eh bien, je pense que notre ami, commençons par son signe, est… »
Le suspense est à son comble.
« … la soirée n’a pas été assez longue… Il est possible que je puisse me tromper… comme je le disais tout à l’heure, l’astrologie n’est pas une science…
- Allez, vas-y…
- Oui, c’est tellement drôle.
- Surtout que cela risque d’être compliqué…
- C’est encourageant… »
Prune, non contente de minauder, joue la sainte-nitouche, la prude, l’effarouchée… Elle fait des manières. Elle se décide enfin.
« Eh bien, je crois, que François est natif de la… Vierge. »
L’amie de Rubin pousse un petit cri.
Rubin joue les poker-faces.
L’assistance : « Alors ? C’est vrai ? Elle a trouvé ? »
Rubin : « J’attends la suite… »

Prune se saisit de son verre d’eau et en boit une grande gorgée.
« Puisque notre ami ne daigne pas réagir, ce qui signifie soit qu’il n’avoue pas sa future défaite, soit qu’il attend encore pour m’enfoncer… Je vais essayer de continuer… »

L’amie de Rubin tremble de rage et tente avec un beau sourire forcé de faire la belle perdante.

Tout le monde a le regard tourné vers Prune qui ménage ses effets…
« Eh bien, puisque François ne confirme ni n’infirme le fait qu’il est une vierge, je vais me lancer dans la suite… Je crois pouvoir affirmer avec un pourcentage d’erreur de vingt pour cent pour être large… que son ascendant est bélier… » 

Silence. 

Pas un bruit, sinon celui des couverts que l’on repose et qui cognent les assiettes et les verres, tout le monde regarde François.
Il regarde Prune, il regarde son amie. Il réfléchit.
« Je suis au regret de dire que tu te trompes. »

Brouhaha dans la pièce. Mais tout le monde se dit qu’il fallait s’y attendre, que la mission était impossible, que le défi lancé était trop compliqué. Les conversations reprennent peu à peu même si Prune, d’abord décomposée, se reprend. Quant à l’amie de François, elle ne comprend rien. Elle se rapproche de lui et, discrètement : « Ce n’est pas bien de lui avoir menti. C’est même assez dégueulasse. Comment est-ce possible ? » Il hausse les épaules et murmure : « Je ne voulais pas perdre la face. »

Prune : « Mesdames et Messieurs, un peu de silence. Je ne m’avoue pas vaincue. Puisque François prétend que Vierge ascendant Bélier n’est pas son profil astral, il est nécessaire de vérifier. Peux-tu me donner ta carte d’identité ? » Il hésite. « Pourquoi ne pas me croire ? » Les convives ont leurs regards tournés vers lui. Il hésite encore mais il ne peut pas faire autrement. Il va chercher son portefeuille  dans la pièce où sont posées les affaires et en sort sa carte d’identité qu’il tend à Prune.

Elle prend un ton déclamatoire : « Mam ’messieurs, François Rubin est né le 6 septembre 1990 à Paris treizième… Il est donc Vierge, et s’il me dit son heure de naissance, s’il la connaît, s’il ne me ment pas, je pourrais vous dire si son ascendant est bien Bélier… - Vingt heures… - Abracadabra » dit-elle en consultant son smartphone, il est ascendant Bélier. »

Hourras, cris, félicitations pour Prune, mais personne ne comprend ce qui a pu arriver à François. Pourquoi a-t-il menti ? Son amie est furieuse qu’il ait pu être découvert. Elle le lui reproche ouvertement. Les autres sont gênés mais ne la désapprouvent pas. François a charrié.

Il décide d’aller faire un tour dehors dans le jardin. « Pour réfléchir. » Prune vient le rejoindre discrètement : « Je crois que nous avons réussi notre coup de foudre. - On les a bien eus. » Et ils s’embrassent furieusement.

(Vendredi 17 janvier 2020)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

UN COUPLE SILENCIEUX

      Le couple Bertrand a l’habitude d’aller au restaurant « Aux amis » une fois par semaine. Toujours le même jour, le vendredi midi. Ils ...